
La VAR et la promesse des 40 secondes… un véritable temps mort de 90 secondes!
« La volonté farouche de la FIFA d’introduire la VAR, puis la détection du hors-jeu automatisée, met donc à mal ses ambitions affichées au XXIe siècle de redynamiser le jeu. À l’origine, une décision prise en moins de 40 secondes était l’objectif et la condition de l’adoption de la VAR. Un objectif temporel bafoué à chaque journée de championnat et dans chaque compétition. La mise en œuvre de la VAR révèle ce paradoxe entre une technologie qui provoque de la discontinuité dans le jeu et la volonté de fluidifier le jeu par la FIFA.
Cette incohérence est difficile à interpréter. Il est possible de proposer plusieurs hypothèses. D’un point de vue technologique, les membres de la FIFA avaient une telle confiance qu’ils estimaient que les décisions seraient prises de plus en plus vite… donc en moins 40 secondes. Donc au moins aussi vite que le temps nécessaire pour calmer les joueurs qui viennent discuter une décision de l’arbitre ! »
Avec la détection du hors-jeu automatisé cela devait aller nettement plus vite… En fait non ça ne va toujours pas plus vite ! On a tenté de nus vendre du rêve, le réveil est brutal !

Extrait de
VAR ? Le miroir aux alouettes (2019)
La promesse des 40 secondes… un véritable temps mort de 90 secondes
(pp 179-181)
L’objectif initial affiché par le Board était de limiter le temps de la prise décision à 40 secondes. Une barrière de temps souvent largement dépassée : Le problème c’est qu’il faut trois, quatre minutes pour prendre une décision, déclarait Zinédine Zidane suite à la demi-finale du Mondial des clubs Real Madrid-Émirats d’Al Jazira (2-1) en décembre 2017. Dans la pratique, les moyennes pour les prises de décision du corps arbitral dépassent souvent la minute.
Ben Wilson, le directeur de l’arbitrage australien, avait estimé en avril 2017, lors de la décision d’utiliser la VAR dans le championnat professionnel australien, que la plupart des décisions rendues en A-League par l’entremise de la VAR, le serait dans un délai de 30 à 40 secondes. Un message rassurant destiné à tous ceux qui craignaient que l’arbitrage vidéo ne casse le rythme des matchs, un objectif conforme à l’ambition initiale de la FIFA. Selon lui, même si cela mobilise plus de temps, ce n’est pas grave, car Le principal objectif est de prendre les bonnes décisions. C’est la priorité. Donc la fluidité du match, l’optique de dynamiser le match, se retrouvent d’emblée situées au second plan des préoccupations.
Un an plus tard, l’optimisme est moins de mise. Ainsi, pour Pascal Garibian, le directeur technique de l’arbitrage français, évoquant cette durée : L’idéal, c’est qu’une décision corrigée par l’assistance vidéo ne dépasse pas une minute trente (L’Équipe du samedi 3 mars 2018). Des arrêts de jeu qui ressemblent étrangement aux temps morts du basket professionnel américains, compris entre 60 et 100 secondes. La FIFA reste muette à ce sujet, mais l’objectif des 40 secondes semble bel et bien passé aux oubliettes.
Lors de la phase expérimentale de deux ans concernant 972 matchs, le bilan proposé par la FIFA avance un chiffre moyen de 68 secondes pour le « visionnage terrain » *. Aucun détail n’est disponible pour vérifier ce chiffre et, depuis, le silence est de mise. Ce chiffre est très surprenant car il est quasi impossible d’illustrer ce propos avec un exemple de recours à la vidéo avec un visionnage par l’arbitre de l’écran de contrôle sur le bord du terrain dans un temps inférieur à 68 secondes. Il suffit de préciser que le VAR effectue deux fois sur trois un « contrôle silencieux » de 10 ou 20 secondes pour obtenir des chiffres magiques et une moyenne inférieure à 40 secondes !

Le premier penalty accordé grâce au VAR en Coupe du Monde 2018 donne te ton… les 30 à 40 secondes espérées sont une chimère, les 68 secondes affichées une illusion. Lors de son entrée dans la compétition, face justement à l’Australie, la France[1] bénéficie d’un penalty à la 54e minute. Entre la faute de Josh Risdon sur Antoine Griezmann (54e) et le coup de pied de réparation (58e), la partie est figée pendant 4 minutes, soit 240 secondes, six fois plus que le scenario de 40 secondes ! En effet, l’arbitre uruguayen Andrés Cunha a d’abord laissé jouer, considérant qu’il n’y avait pas faute. Ensuite, il a arrêté le jeu après avoir été interpelé par le VAR, puis il s’est déplacé pour contrôler l’action sur l’écran situé en bordure du terrain, avant d’accorder finalement le penalty. La décision a été contestée par les Australiens avant de pouvoir, enfin, assister à ce duel entre le gardien et l’attaquant.
Un an plus tard, lors de la Coupe du Monde féminine, le temps de la prise de décision est toujours aussi important. Lors de la demi-finale de la Coupe du Monde féminine Angleterre-Suède, pour prendre la décision d’accorder un penalty à la 79e minute, le match est suspendu plus de 200 secondes[2] L’arbitre brésilienne Edina Alves Batista passe un long moment devant l’écran de contrôle pour modifier sa décision initiale. Un temps de latence certainement perturbant pour la joueuse anglaise Stéphanie Houghton qui va manquer ce penalty synonyme d’égalisation.
Avec l’expérience accumulée lors des recours à la vidéo depuis 2016 par les acteurs de l’arbitrage et les techniciens spécialistes des replay ou arrêts sur images, l’hypothèse d’une accélération de la prise de décision était souhaitée et envisageable. Mais les chiffres restent alarmants dans ce domaine. La VAR a corrigé 32 décisions de hors-jeu lors de la première partie de saison 2019/2020 en Premier League… jusqu’au 15 janvier 2020. Sept de ces décisions ont pris plus de 120 secondes. Le record est de 207 secondes (3’47’’) pour un but non validé de David Mc Goldrick lors du match Tottenham-Sheffield United du 1er novembre 2019.
Ces chiffres ne constituent pas une véritable surprise, les 40 secondes annoncées représentent une simple partie du miroir aux alouettes. Pour juger d’une action saturée de complexité, l’arbitre s’appuie sur des centaines d’images de situations de matchs déjà vécues, enregistrées dans sa mémoire visuelle. Cette banque de données permet à l’expert de proposer une interprétation des lois du jeu et de prendre rapidement une décision. Cette résolution immédiate du conflit, faute ou non, fait partie du charme du football. Avec ce jugement humain, une équipe peut se retrouver lésée ou flouée et cela peut changer le résultat du match et de sa destinée. Il est possible de penser que la solution pour faire moins d’erreurs réside dans l’utilisation de la VAR, mais il est illusoire d’envisager de le faire rapidement ou de plus en plus vite. Il ne s’agit pas d’un arbitrage électronique quasi instantané, mais plutôt de plusieurs arbitres qui communiquent, via une oreillette, pour déterminer s’il y a penalty ou non en visionnant des images sur les écrans de contrôle puis, parfois, au bord du terrain.
Ces interruptions prennent du temps et viennent casser le rythme du match. Le temps est suspendu, les mouvements des joueurs se figent, une immobilité comparable à un genre de chaos. Interminable pour Frenkie de Jong, le joueur de l’Ajax d’Amsterdam : L’interruption de la VAR a duré tellement longtemps que j’ai pensé qu’ils étaient en train de remonter jusqu’à une faute commise en première mi-temps (conférence de presse, 5 mars 2019). Les joueurs sont priés d’attendre dans le calme le verdict des juges, comme au patinage artistique… mais le spectacle va bientôt reprendre !
[1] France-Australie : 2-1. Phase de groupes Coupe du Monde en Russie. 16 juin 2018, stade Kazan Arena.
[2] Angleterre-Suède : 1-2. Demi-finale Coupe du Monde féminine en France. 2 juillet 2019, Groupama stadium, Décines.